« Sur 10 cessions de patientèle, 2 sont encore faites sur un bout de papier… »
Départ en retraite, accident de la vie ou décision de changer de vie : les raisons des cessions de patientèle sont nombreuses… et peuvent rendre le moment douloureux. Pour autant, il s’agit de garder le cap ! Avocat en droit des professionnels de santé libéraux, Me Sébastien Mafray œuvre au sein du cabinet Legal-Idel, partenaire de l’Angiil. Interview…
Que peut-on inclure dans une cession de patientèle ?
S.M : La définition classique de la cession de patientèle inclut deux types d’éléments : les éléments corporels et les éléments incorporels. Les éléments corporels sont constitués des tables d’examens, bureaux, chaises ou matériel d’examen… Il est très rare qu’un élément corporel soit pris en compte lors d’une cession de patientèle d’infirmier libéral. Ou alors il est déjà bien amorti et n’a qu’une valeur résiduelle. Evidemment, le cas est différent pour les kinés, qui disposent de matériel de rééducation coûteux. Les éléments incorporels sont donc généralement les seuls à être pris en compte. Ce sont aussi les plus valorisés : il s’agit de la patientèle, des dossiers de soin patients, mais aussi de la ligne téléphonique fixe et/ou portable, du logiciel métier, du droit au bail quand il existe, et plus généralement du lieu d’implantation géographique du cabinet. Depuis peu, j’ai également pris l’habitude de rajouter une liste des patients chroniques suivi par le cabinet : autrement dit la liste des patients qui bénéficient de soins à caractère permanent, comme les patients dépendants ou atteints de pathologies chroniques. Bref, les éléments incorporels constituent le cœur même de la vente : c’est ce sur quoi se basera l’activité future de l’acquéreur.
Est-il possible de ne céder qu’une partie de patientèle, lorsque l’on souhaite garder une petite activité par exemple ?
S.M : Oui, c’est possible. Mais dans ce cas, il ne s’agit pas d’une cession de patientèle, mais d’une convention d’intégration. Ceci revient à céder une quote-part de patientèle à l’acquéreur en échange de son intégration dans le cabinet. Mais, attention ! Pour le vendeur, cette procédure barre la route à l’une des possibilités d’exonération de plus-values : en effet, l’article 238 quindecies ne s’applique qu’aux transmissions complètes d’activité. Ceci peut donc avoir une incidence majeure en termes de fiscalité… que beaucoup de cabinets experts-comptables ne prennent pas forcément en compte.
« Une situation d’urgence n’est jamais une bonne situation pour vendre »
Comment déterminer le prix de la cession ? Quelles bases s’appliquent ?
S.M : Seuls les usages comptent dans ce domaine… En fait, en général, on part d’une valeur de la patientèle estimée à environ 30 à 50% de la recette nette hors rétrocession des 3 dernières années. Mais après, c’est variable selon les bassins de vie ! A Toulouse, il y a quelques années, une patientèle d’infirmière libérale ne valait pas grand-chose ; puis, les valeurs ont augmenté à cause de la mise en place du zonage conventionnel ; et maintenant, ça redescend à 15% du CA. Aux Antilles, par contre, on monte à 50%. Et, en ce moment, c’est même du 100% qui s’applique à la Réunion ! Bref, il n’y a pas d’anticipation possible ! Avec mon cabinet, nous réalisons entre 5 à 10 cessions de patientèle par mois. Nous connaissons donc les zones les plus ou moins valorisées à l’instant T. Mais tout est très variable d’un moment à l’autre et d’une situation à l’autre…
L’acquéreur a-t-il possibilité de négocier le prix ? Sur la base de quels éléments ?
S.M : Tout est toujours négociable ! Ceci dépend du contexte économique, de l’organisation du cabinet, mais aussi et surtout de la situation d’urgence. Ainsi, un infirmier libéral qui veut vendre alors qu’un cabinet concurrent vient juste de s’installer à côté se trouvera en mauvaise posture. Idem pour un cabinet confronté à un nombre important de décès parmi ses patients chroniques. Mais le pire est lorsque nous entendons dire « je veux vendre dans une semaine » : à cause d’un divorce, d’un burn-out ou autre problème personnel. Inutile de vous dire que pour le futur acquéreur, là, c’est une aubaine car bien souvent, le cédant sera prêt à vendre pour une bouchée de pain. Une situation d’urgence n’est jamais une bonne situation pour vendre ! Il convient donc d’anticiper pour éviter les mauvaises surprises.
La structure juridique du cabinet à vendre influe-t-elle sur le prix de cession ?
S.M : Sur le prix, non, mais sur l’opération en elle-même, oui ! Aujourd’hui, on constate un désamour pour la SCP car on pense qu’il s’agit d’une structure un peu rigide. De surcroît, il existe peu de cabinets d’experts-comptables qui conseillent bien les ventes de parts : en conséquence, les acquéreurs potentiels sont souvent réticents et les ventes ont du mal à se faire…
Combien de temps à l’avance doit-on s’y prendre pour céder sa patientèle dans des conditions optimales ? Existe-t-il un rétroplanning idéal ?
S.M : Il est vrai qu’idéalement, il faut un peu de temps. Chronologiquement, la cession se déroule ainsi : d’abord, nous fixons un premier rendez-vous de préparation avec le cédant. Puis nous lui envoyons une lettre de mission qu’il doit signer. Ensuite, nous réalisons un audit du cabinet, qui nous permet de faire une synthèse. Nous y abordons les questions de présence ou non d’associés, de collaborateurs ou remplaçants, d’existence d’un droit de bail, des spécificités du cabinet lorsqu’il œuvre, par exemple, au sein d’une expérimentation pilote comme « Equilibres » où la facturation est horaire… Puis, nous analysons toutes les pièces et rédigeons un compromis. Dès que le cédant a trouvé un acquéreur, nous fixons alors un rendez-vous où toutes les clauses du futur acte sont expliquées. Et si tout le monde est d’accord, nous réalisons un appel de fonds pour lequel l’acquéreur débloque le financement. Puis, nous obtenons le transfert du conventionnement via la CPAM, l’accord des associés, du bailleur… Et, enfin !, la signature finale de l’acte a lieu. Vient alors l’enregistrement de la transaction aux impôts et la notification aux Ordres professionnels… Et voilà, c’est terminé ! Notre mission est globale, et nous nous occupons de tout de A à Z.
« Tout doit être examiné à la loupe »
Quelles sont les clauses indispensables d’un bon contrat de cession de patientèle ?
S.M : Quand j’ai commencé voici 20 ans, nous avons dupliqué ce qui se faisait pour les fonds de commerce. Puis, peu à peu, nous avons enrichi nos contenus de contrat. Aujourd’hui, les clauses essentielles demeurent l’objet de la cession avec la décomposition des éléments corporels et incorporels, le prix de la cession et sa date, à quoi il convient d’ajouter une clause de non-concurrence à la charge du cédant. Des clauses suspensives doivent également apparaître. Parmi elles, on peut citer l’obtention du financement par l’acquéreur, l’accord des associés et du bailleur, l’obtention du conventionnement par la CPAM, l’obligation du cédant à mettre tout en œuvre pour présenter son acquéreur à la patientèle, la mise aux normes du cabinet, la solidarité fiscale entre les parties ou, même, la transmission des données patient… Ainsi, je me rappelle d’une affaire où l’éditeur du logiciel métier n’a pas voulu donner les infos patients à cause du règlement RGPD*. Du coup, l’infirmier acquéreur ne pouvait pas accéder aux dossiers de soin, et était dans l’impossibilité d’assurer le suivi de la patientèle. Depuis, nous précisons que le repreneur devra travailler à partir du même logiciel métier, ou qu’un informaticien devra venir pour extraire les données…
Sur quels points l’acquéreur doit-il être particulièrement vigilant ?
S.M : La consistance du cabinet en lui-même. Autrement dit la liste des patients chroniques, le chiffre d’affaires, l’existence de collaborateur et le bail. Mais en fait, tout doit être examiné à la loupe : le statut du collaborateur, l’existence d’une convention d’exercice en commun, le transfert d’un véhicule ou d’un crédit-bail…
Sur quels points le cédant doit-il être particulièrement vigilant ?
S.M : La crédibilité financière de l’acquéreur ainsi que sa capacité technique et humaine à gérer le cabinet avec les associés restants. Car n’oublions pas que la continuité des soins reste une obligation principale…
Qui doit payer le contrat de cession patientèle ?
S.M : L’usage dit que c’est l’acquéreur qui paye. Mais aujourd’hui, il arrive que le vendeur en prenne la moitié, voire la totalité, à sa charge. Par contre, les droits de mutation et d’enregistrement aux impôts sont obligatoirement de la responsabilité de l’acquéreur.
Et combien ça coûte ?
S.M : Les prix des prestations juridiques sont variables et libres. Chaque avocat peut donc demander ce qu’il pense juste. Chez nous, nous travaillons par forfait.
Doit-on réellement parler de cession de patientèle ou de droit de présentation à la patientèle ? Et pourquoi cet acte cause-t-il toujours autant de souci ?
S.M : C’est vrai qu’on parlait autrefois de droit de présentation. Mais depuis 2000, la vente de patientèle est autorisée. Reste que la liberté de choix du patient s’opère toujours, et heureusement ! En fait, notre gros travail consiste depuis 5 ans à sensibiliser les soignants libéraux à cadrer correctement les modalités de leur cession de patientèle. Mais aujourd’hui sur 10 ventes, il y en a encore 2 qui sont faites à la va-vite sur un bout de papier : avec tous les inconvénients et les problèmes qui s’ensuivent après… et qu’il faut gérer bien souvent dans le cadre d’une démarche contentieuse au tribunal judiciaire ou auprès de la chambre disciplinaire… !
*RGPD : Règlement Général de Protection des Données
Adhérents Angiil : 10% de réduction sur les prestations du cabinet Legal-Idel !
L’Angiil et Legal-Idel, cabinet d’avocat spécialisé en droit des professions libérales de santé, sont partenaires depuis octobre 2022. Dans ce cadre, les adhérents Angiil bénéficient de multiples avantages. Parmi eux : l’accès gratuit à une permanence d’avocat à Toulouse-Balma tous les 2é jeudis du mois, la première consultation en visio ou présentielle offerte et enfin, une réduction de 10% sur les tarifs des prestations Legal-Idel.
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